Échouer à comprendre la nature et le rôle des nombreux acteurs privés dans les zones de conflits armés ou de post-conflit ne fait qu'ajouter à la confusion.
Le débat sur le mercenariat, les « entrepreneurs de guerre » et sur la place des Sociétés de Sécurité Privées fournissant des services responsables doit désormais être moins réducteur et plus précis et permettre de définir et clarifier les rôles, responsabilités et mécanismes de surveillance de chacun.
L’industrie privée de sécurité doit prendre part à ce débat pour faire entendre sa position et défendre le travail d’autorégulation, de mise en place de mécanismes de contrôle et de gouvernance pour mettre un terme à cet amalgame.
Aujourd’hui la France a adopté le terme d’ESSD (Entreprise de Sécurité et de Service de Défense) qui semble plus en adéquation avec la réalité des services proposés par les quelques acteurs français revendiquant cette appellation. Accepté dans les années 2000, le terme « SMP » (Société Militaire Privée), accolait 2 termes antinomiques : « militaire » et « privé ». Le militaire possède un statut « régalien » donc « public » ; fait la guerre ou intervient dans le cadre d’opérations de guerre encadrées par des décisions politiques. Un militaire au sens combattant ne saurait donc être ou devenir « privé » sauf à être un « mercenaire » sous réserve de répondre aux 6 critères cumulatifs du Droit Humanitaire International (article 47 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève) qui stipule que , le terme « mercenaire » s’entend de toute personne :
- qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé ;
- qui en fait prend une part directe aux hostilités ;
- qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette partie ;
- qui n’est ni ressortissant d’une partie au conflit, ni résident du territoire contrôlé par une partie au conflit ;
- qui n’est pas membre des forces armées d’une partie au conflit ; et
- qui n’a pas été envoyée par un État autre qu’une partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État.
Quelle société capitalistique se risquerait-elle, contre rétribution, dans le cadre d’un contrat commercial à agir sur un théâtre de guerre et se substituer aux forces régaliennes en étant engagée dans des opérations de combat et devoir le cas échéant répondre de sa conduite devant une cour internationale ? Les Sociétés de Sécurité Privée et les ESSSD françaises ne rentrent aucunement dans ces critères.
Si l’appellation SMP était l’acceptation coutumière suite à l’émergence du phénomène anglo-saxons notamment lors du 2eme conflit en Irak, cette terminologie ne saurait plus être utilisée aujourd’hui. Tout d’abord, elle entretient une confusion et un amalgame dans l’esprit du grand public. Ensuite elle ne correspond à aucune réalité juridique. Enfin, elle nie les mécanismes de régulation de l’industrie elle-même, jetant qui plus est l’opprobre sur tout un secteur économique.
L’appellation française acceptée d’ESSD (Entreprise de Sécurité et de Service de Défense) permet de comprendre que des sociétés privées font aujourd’hui commerce de l’expertise d’anciens « militaires » dans le cadre de prestations de service de sécurité ou de sûreté qui peuvent parfois intervenir dans un contexte de stabilisation ou en périphérie de zones de combat. C’est le cas des ESSD françaises en charge de la sécurité des emprises diplomatiques en Irak ou en Afghanistan par exemple. D’autres ont pu, dans le cadre de relations contractuelles privé/public, assurer des formations militaires très encadrées par le cadre de loi national (autorisation d’export auprès de la DGA, demande de classement, fiscalisation du contrat en France, paiement des collaborateurs en France via des contrats de droit français …).
A part le cas de Wagner group, il ne semble pas aujourd’hui se profiler, contrairement à certains phantasmes, une émergence exponentielle de « SMP » activent sur les champs de batailles.
En revanche, il y a bien une multiplication des acteurs privés non-étatiques engagés dans les conflits armés ou les environnements « fragiles » a qui pourraient s’appliquer la définition de l’article 47. On retrouve ainsi les « combattants » étrangers de DAESH qui interviennent pour la cause djihadiste en Syrie, les mercenaires turcs en Libye, il y a des « milices » financées indirectement par des État tiers qui interviennent au Liban au Donbass… il y a des combattants « insurgés » ou de « GAT » (Groupe Armés terroristes) qui se battent dans la bande Sahélo-saharienne …
Tous perçoivent ou reçoivent forcement une rétribution pour leur engagement non-régalien au profit d’une cause politico-militaire voir idéologique. Ils sont financés par les revenus des trafics en tout genre (drogue, traite humaine, tabac…), ou par des montages financiers et capitalistiques opaques qui masquent les commanditaires réels.
Amalgamer les prestataires de l’industrie de sécurité privée et ce type d’activité ou affirmer procéder à une distinction « au cas par cas » sans que les critères d’évaluation ne soient connus entretient voire amplifie la confusion.
Cette posture ne permet pas de clarifier la situation, profite aux « SMP » et autres « entrepreneurs de guerre » et occulte tout le travail de gouvernance, de régulation et de contrôle de l’industrie privée de Sécurité mis en place depuis 2009 à travers notamment, l’International Code of Conduite dont la France est totalement absente.
David HORNUS (Directeur CORPGUARD - CORPGUARD DEFENSE SERVICE)