Soldats de France - Association Nationale de Soutien à nos Soldats en Opération (ANSSO)

BRUNO ne répond plus ....

Le Général Bigeard a rejoint les oies sauvages. La grande famille des "paras" est en deuil. Le dernier des grands chefs glorieux de notre histoire s'en est allé vaillamment après n'avoir jamais baissé la garde ni cessé de dénoncer le déclin de notre pays. Adieu Bruno, Adieu mon Général !



BRUNO ne répond plus ....
Le général Marcel Bigeard est mort, ce vendredi à l'âge de 94 ans, à son domicile de Toul (Meurthe et Moselle). Considéré comme l'un des officiers généraux les plus décorés de l'armée française, le général Bigeard avait été secrétaire d'Etat à la Défense dans les années 1970 et député de Meurthe-et-Moselle.
Il avait été hospitalisé à deux reprises au mois de mars et de mai pour une phlébite. Il s'éteint le jour du 70ème anniversaire de l'Appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle. Combattant de la seconde guerre mondiale, des conflits d'Indochine et d'Algérie, son nom reste lié à la bataille de Dien Bien Phu. Parachuté avec son bataillon de parachutistes coloniaux sur le camp retranché encerclé par le Vietminh, Bigeard avait participé aux combats jusqu'à la chute le 7 mai 1954 et avait été fait prisonnier.

Parachuté sur l'Ariège

Né à Toul le 14 février 1916, fils d'un cheminot, Marcel Bigeard avait gravi tous les grades dans l'armée française, de simple soldat pour son service militaire à la veille de la guerre de 1939 jusqu'à celui de général de corps d'armée (quatre étoiles). Il avait été rappelé comme caporal-chef en septembre 1939. Fait prisonnier en juin 1940, il s'évade, gagne le Sénégal et s'engage dans l'infanterie coloniale. Sous-lieutenant en Afrique en 1943, il est parachuté en France l'année suivante, commande les maquis de l'Ariège et participe aux combats pour la Libération.
Lors de la guerre d'Algérie, il commande le 3ème régiment de parachutistes coloniaux (RPC) et participe à la bataille d'Alger en 1957 sous le commandement du général Massu. Après les révélations du général Paul Aussaresses en 2000 sur l'usage de la torture durant le conflit, Bigeard admet son utilisation, préférant évoquer des «interrogatoires musclés».

«C'était un moyen de récolter des infos»

«Nous avions affaire à des ennemis motivés, des fellaghas, et les interrogatoires musclés, c'était un moyen de récolter des infos. Mais ces interrogatoires étaient très rares et surtout je n'y participais pas. Je n'aimais pas ça. Pour moi, la gégène était le dernier truc à utiliser», déclarait-il en 2007 au quotidien suisse la Liberté. Mais contrairement à Massu, qui a regretté l'usage de la torture, Bigeard n'avait émis aucun remord. «Je ne regrette rien ! Nous avons fait face à une situation impossible. »

De retour en métropole, Bigeard est successivement nommé général de brigade en 1967, général de division, commandant supérieur des forces françaises dans la zone sud de l'océan Indien, puis, en 1973, adjoint au gouverneur militaire de Paris, commandant de la 1ère région. Promu général de corps d'armée (quatre étoiles) fin 1973, il est nommé, en 1975 secrétaire d'Etat à la Défense. Il démissionnera en août 1976 en critiquant l'insuffisance de son budget.
Député de la Meurthe-et-Moselle (1978-1988), président de la commission de la Défense nationale de l'Assemblée nationale (1978-1981), il se signale par ses diatribes contre les socialistes.
Marcel Bigeard était notamment décoré de la grand'croix de la Légion d'honneur, de la Croix de guerre et de la Distinguished Service Order (GB). Il a publié une quinzaine d'ouvrages dont «Pour une parcelle de gloire». Il s'était marié en janvier 1942 avec Gaby Grandemange, avec laquelle il avait eu une fille, Marie-France.

BRUNO ne répond plus ....



Extrait de la Guerre d'Indochine 1945-1954 " par Philippe Héduy"

A cette époque où, selon mon indicatif radio, je devenais Bruno, je ne savais pas encore que nous vivions les plus belles années de notre vie. Les plus belles parce que les plus dures. Elles étaient aussi les années les plus amicales, les plus orgueilleuses, et les plus solitaires :

Les plus amicales parce que nous étions, à la vie, à la mort, entre camarades ;

Les plus orgueilleuses parce que jamais autant nous n'aurions la fierté de notre tenue et de notre uniforme.

Les plus solitaires enfin, parce que nous menions en des terres lointaines un combat d'idéal, aussi ignoré de la métropole que celui des Croisés de la première croisade, il y a neuf cents ans, quand le moine Bruno, mon saint patron à la guerre, fondait l'ordre des Chartreux.

Oui, les camarades parachutistes, les solitaires parachutistes, les orgueilleux parachutistes étaient alors portés par un destin semblable à celui des Croisés ou à celui des moines, des moines guerriers, des Templiers. 

Et j'imagine que, nonobstant l'armure, les chevaliers du Temple n'auraient pas été mécontents de sauter sur Jérusalem en arrivant du ciel, comme nous allions le faire tant de fois, de la RC 4 à la Plaine des Joncs, et de la Rue sans Joie à Ðiên-Biên-Phu.

Je crois que c'est en effet l'esprit - du moins un certain esprit, une certaine idée de nous-mêmes - qui nous permettait de nous manifester ainsi, au plus fort des combats. On sait contre quoi, contre qui nous combattions : Contre un monde opposé à celui de l'esprit. Et puis, il y avait en nous autant de secrète vigueur de venir au feu en tombant du ciel qu'en parcourant des lieues à travers la jungle, la rizière ou la montagne. L'esprit nous animait.

L'esprit, d'abord, du dépassement de soi. J'ai vu combien de garçons de vingt ans, ou même de trente, s'agripper à la carlingue et sauter dans l'inconnu mortel alors que, deux ou trois heures auparavant, ils se trouvaient encore à Hanoï dans l'insouciance ou les plaisirs de quelque lieu de détente ! Et j'en ai vu combien marcher sur la piste jusqu'à l'épuisement ou courir à l'assaut jusqu'à la chute ! Je le dis : une telle vigueur physique n'est pas possible sans une ardeur morale. Jogging, certes, mais jogging avant tout du caractère et du courage.

Aller ainsi jusqu'au bout de soi, cela s'appelle l'abnégation, cela s'appelle l'esprit de sacrifice, et cela signifie que l'on défie la mort en combat singulier, la mort qui est autour de nous tous. Je les salue, mes camarades parachutistes qui l'ont rencontrée sans peur. Leur mort est à jamais notre mérite.

L'esprit d'équipe ensuite, l'esprit de camaraderie. On dira peut-être esprit de caste, de clan, de corps. Soit, si cela veut dire que l'on a la volonté d'être les meilleurs et que cela ne vous est pas donné par quelque grâce d'état ou d'uniforme.

Oui, nous osions espérer être les meilleurs, mais les meilleurs parmi nos égaux, nos frères d'arme. Et, s'il y a caste du combat, clan de guerriers, si le parachutiste veut encore être aujourd'hui ce primus inter pares, c'est surtout à l'Indochine que nous le devons. Après la Bretagne ou la Hollande, avant Suez ou Timimoun, et aussi avant Kolwezi, il y eut l'Indochine : That Khé, Tu Lé ou Diên-biên-phu furent les creusets où se forgèrent l'esprit, la geste et la chevalerie parachutistes.

Esprit français enfin. Cet esprit para qui devait jaillir du ciel d'Indochine, comme une corolle, a-t-on remarqué qu'il était particulièrement représentatif de ce que le soldat français a toujours eu de meilleur en comparaison de tous les autres ?

L'astuce et la fougue, l'audace et la furia francese, l'intelligence du combat, le sens du terrain, le flair du danger, le goût de la manœuvre, la souplesse de l'approche, tout cela qui rend le parachutiste français le plus para des aéroportés, là aussi ce primus inter pares parmi nos camarades du monde entier, tout cela naquit de la guerre d'Indochine.

J'ai souvent dit ou écrit, il faut "être et durer" ou encore " faire un pas... encore un pas " et savoir repartir à zéro.

Le vieux soldat que je suis devenu essaie de continuer à servir en puisant certes dans son passé, mais en ayant le regard fixé sur ce que pourrait être demain, et où là comme ailleurs les paras qui furent toute ma vie sauront défendre une liberté qui n'a pas de prix.
 

Marcel BIGEARD