« Sociétés Militaires Privée » (SMP) des origines à nos jours par David HORNUS

David Hornus, Directeur de l'ESSD CORPGUARD et fondateur en 2003 de "SECOPEX", la 1ere "Societe Militaire Privée" française " nous propose de revenir ici sur les prémices et les origines d'un phénomène ou plutôt d'une appellation qui fait couler beaucoup d'encre et agite le Landerneau médiatico-associatif...

Avec l’apparition depuis plusieurs années de la « société » Wagner Group et son intervention directe dans les combats qui opposent l’Ukraine et la Russie, le débat sur la définition, le rôle, le statut des « SMP » (Sociétés Militaires Privée) refait surface tel une hydre de mer.



 

Depuis 2014, le groupe Wagner est apparu en Syrie, en Libye puis plus récemment en Centrafrique et désormais dans nos zones d’influence traditionnelles, l’Afrique de l’Ouest et tout dernièrement …au Soudan ou sa présence est signalée depuis 2017.

Depuis un an, le groupe Wagner fait malheureusement parler de lui avec ses interventions en Ukraine. L’absence de toute gouvernance d’éthique, de contrôle de cette structure hybride et à géométrie variable la rend, difficilement identifiable et descriptive aussi le terme de "société militaire privé" qu’elle revendique par ailleurs ne s’applique-t-il pas totalement à ce qu’elle représente.

Depuis quelques temps, les médias lui préfèrent d’ailleurs plutôt l’appellation de «  mercenaire », de « milice » et de « groupe paramilitaire ». Aucune de ces appellations ne semble pourtant satisfaisantes pour désigner cette entité.

Comme je l’avais déjà écrit en septembre 2021 [1], un débat « taxinomique » entre SSP (Société de Sécurité privée) /SMP (Société Militaire Privée) et même SMSP (Société Militaire et de Sécurité privée) est entretenu depuis 20 ans – voire plus -, sciemment ou inconsciemment, par ceux-là même qui dénoncent l’ingérence des « acteurs non étatiques » en zone post conflictuelles, ou de conflits.

Pourtant, un agent de sécurité local aux portes d'une enceinte diplomatique ou d’une ONG, un conseiller en sécurité, un garde armé sécurisant les déplacements de « VIP » ne sauraient être comparés à un personnel militaire du groupe Wagner engagé au combat.

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et mes mots pour le dire viennent aisément… » le moins que l’on puisse dire est que la maxime de Boileau ne s’applique pas ici…

Alors de quoi s’agit-il ?

 
Petit rappel historique : des prémices aux précurseurs

Les prémices des interventions d’acteurs non étatiques en zone de conflit ne datent pas d’hier. Nul besoin de remonter jusqu’aux condottières ou aux lansquenets du Moyen Âge pour s’apercevoir que le phénomène d’externalisation a débuté dès la Seconde Guerre mondiale et s’est poursuivi dans le contexte de Guerre froide puis lors des guerres d’indépendance.

Il convient, dans un premier temps, de rappeler l’intervention des « tigres volant » de Claire Chennault (surnom donné à une escadrille de pilotes américains, officiellement le 1st American Volunteer Group ou AVG) au profit de Tchang Kaï-chek, pendant la 2nd Guerre mondiale. Bien qu’illégale en vertu des lois de neutralité des États-Unis, l'opération est approuvée par le président Roosevelt lui-même. Quelque 100 pilotes et 200 techniciens seront ainsi recrutés par Chennault et rémunérés par une société privée, la Central Aircraft Manufacturing Company,  

Autre figure légendaire de la 2nd Guerre Mondiale, impliquée dans des opérations militaires privées, David Stirling, fondateur éponyme des SAS britanniques participe, en 1963, à l'élaboration d’une opération d'assistance militaire aux tribus royalistes du Yémen qui aurait, selon certaines sources, vu la contribution de mercenaires français du commandant Roger Faulques et de Bob Denard.

Il fonde, en 1966, la compagnie Watchguard International Limited chargée de former et d'encadrer les forces spéciales gouvernementales et d'organiser des opérations contre les rebelles de pays du Proche-Orient, d'Afrique, d'Amérique latine et du Sud-Est asiatique. Mais aussi au Yemen.

En 1983, il fonde l'entreprise Kilo Alpha Services (KAS), société officiellement chargée de lutter contre le braconnage en Afrique du Sud, mais qui soutient avec l’aval des services secrets britanniques les Zoulous de l'Inkatha dans leur lutte contre l'ANC de Nelson Mandela.

À ces deux entreprises « Militaire Privée », il convient d’ajouter les actions des mercenaires européens Bob Denard [2], Roger Faulques, Jean Schramme[3], Mike Hoare [4]et bien d’autres … dit les « affreux », pendant les conflits d’indépendance.

On ne peut plus aujourd’hui faire d’amalgame entre ce qui a pu se faire dans un contexte de « guerre froide » et ce que certaines sociétés sont en mesure de faire dans un cadre strictement légal, avec une gouvernance, au profit d’un État, dans le cadre de partenariats publics/privés, ou au profit de son pays, afin de soulager, renforcer, seconder les forces régaliennes tant sur les opérations de sécurité internationale que sur les opérations de sécurité intérieure. 

Plus récemment, ce sont les entreprises Executive Outcomes et Sandline[5] ou MPRI pour ne citer qu’elles qui ont joué un rôle de précurseurs.

Fondée en 1989 par, un ancien officier sud-africain d’une unité d’élite spécialisée dans la lutte contre la guérilla, l’entreprise qui emploie les effectifs du 32ème bataillon dissous est employée en 1994 par l’industrie minière et pétrolière en Angola avant d’être sollicité par le Sierra Leone. En 1998, le gouvernement sud-africain adopte une loi visant à réglementer le secteur du mercenariat et à lutter contre ses dérives. Cette nouvelle loi vise particulièrement à contrecarrer Executive Outcomes qui est officiellement dissoute la même année.

Au Royaume Uni, c’est la société Sandline qui est fondée au début des années 1990 par Tim Spicer, un ancien lieutenant-colonel de l'armée britannique. Cette société proposait les services d’entraînements militaires, de soutien opérationnel (équipement, fourniture en armes, activités militaires restreintes), de collecte d'informations, de relations publiques avec les gouvernements et les entreprises.  L’entreprise a été impliquée en Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1997 en Sierra Leone en 1998, ou elle défraie la chronique [6], et au Liberia en 2003.  Sandline a mis fin à ses activités en avril 2004. Tim Spicer, son fondateur à ensuite créé Aegis Defence Services une société qui sera active en Irak et qui a été racheté par Garda World en 2015[7].

En 1997 la société américaine MPRI sur laquelle j'avais publié une recherche sur le site infoguerre.com en mars 2003 [8] déployait quant à elle plus de 200 anciens militaires dans le cadre du programme « Train & Equip » en Bosnie au profit de l’entité Bosniaque [9].

L’eldorado irakien

L’essor des entreprises de sécurité privée fut favorisé par une logique néo-libérale anglo-saxonne, par contraste avec des doctrines nationales considérant le domaine de la Défense comme régalien comme la France. Cette externalisation de certaines prestations de défense « non combattante » s’est généralisée lors du deuxième conflit en Irak et du fait de menaces émergentes (terrorisme islamiste, piraterie maritime) ; ou encore avec le conflit en Afghanistan.

Popularisé avec le deuxième conflit en Irak par les médias qui en ont fait un « story-seller », le terme « SMP » désigne des sociétés de sécurité privées, majoritairement anglo-saxonnes, effectuant des missions considérées – notamment en France - comme découlant de la prérogative du régalien, terme qui n’a cependant pas la même portée, que l’on soit français ou anglo-saxons.

De nombreuses entreprises de sécurité privée offrant des prestations « opérationnelles » se sont ruées sur l’Eldorado irakien ou elles étaient employées par l’industrie pétrolière, minière, gazière et de construction ou de logistique (en 2003 le DoD américain estimait le marché à 100 milliard/an). Nombreuses sont celles qui étaient liées au complexe militaro-industriel américain.

Parmi les plus connue on peut citer CACI, Dyncorp, Erinys, Hart, KBR, DynCorp... ; une seule société française basée au Luxembourg a tiré son épingle du jeu : la société Groupe EHC [10] de Bruno Trinquier qui affirme avoir déployé de 2003 à 2005 plus d’une cinquantaine de « Contractors ».

Certaines ont vu leur rôle controversé, en raison de comportements inappropriés ou d’ouverture du feu ayant provoqué la mort de civils pudiquement appélé "dommage colatéraux". C’est entre autre le cas en 2007 de l’entreprise Blackwater qui comptait au plus fort de son engagement en Irak environ 2000 « contractors » sur laquelle se focalise encore l’inconscient collectif et qui sert de contre-exemple[11]. Il faut cependant préciser que cette société dont l'actionnariat a changé (Erik PRINCE a quitté le Conseil d'Administration en 2010 pour fonder Frontier Services Group en Chine dont il a démissionné en avril 2021) se nomme aujourd'hui ACADEMI et fait partie de CONSTELIS (Triple Canopy + Olive Group + Academi).

ACADEMI est une des plus grosses entreprises de sécurité privée américaine ( plus de 5 Milliards USD de CA revendiqué) et est certifiée ISO 18788 et membre certifié de l’International Code of conduct Association.

D’autres entreprises ont été pointées du doigt tel CACI International dont la réputation a été entachée par des allégations de torture dans la prison d'Abou Ghraib[12].

Tentant de surfer sur cet engouement pour des prestations de sécurité assurées en environnement de conflit, la société française SECOPEX a revendiqué dès sa création en 2003 être la première SMP française et a tenté d’occuper une place sur ce secteur. L’aventure éphémère trouvera une fin tragique en en Libye en mai 2011[13].

Mercenaire or not mercenaire ?

Pour certains, les prestataires de services de défense sont des “mercenaires” ; pour d’autres, ces prestataires de sécurité seraient des “chiens de guerre”, des “entrepreneurs de guerre”, des “milices", des « groupes paramilitaires » …  

Accepté dans les années 2000, le terme « SMP » (Société Militaire Privée), accolait 2 termes antinomiques : « militaire » et « privé ». Le militaire possède un statut « régalien » donc « public » ; fait la guerre ou intervient dans le cadre d’opérations de guerre encadrées par des décisions politiques. Un militaire au sens combattant ne saurait donc être ou devenir « privé » sauf à être un « mercenaire » ... sous réserve de répondre aux 6 critères cumulatifs du Droit Humanitaire International (article 47 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève) qui stipule que, le terme « mercenaire » s’entend de toute personne :

 
qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé ; qui en fait prend une part directe aux hostilités ; qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette partie ; qui n’est ni ressortissant d’une partie au conflit, ni résident du territoire contrôlé par une partie au conflit ; qui n’est pas membre des forces armées d’une partie au conflit ; et qui n’a pas été envoyée par un État autre qu’une partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État.  

Ces critères cumulatifs s’appliquent-ils à Wagner, aux « combattants » étrangers de DAESH, aux « milices » qui interviennent au Liban au Donbass… aux « insurgés », aux « GAT » (Groupes Armés terroristes) qui sévissent dans la bande Sahélo-saharienne ? 

 S’appliquent-ils aux Entreprises de Sécurité et de Services de Défense ?

 
SMP ... un acronyme inadapté qui jette l'opprobre sur une industrie qui ne le mérite pas.

L’utilisation à tout crin - peut-être par paresse intellectuelle et par facilité - de l’acronyme SMP (Société Militaire Privée) accolé abusivement voire à tort au qualificatif « mercenaires » pour des « choses » qui ne le sont pas, ne contribue qu’à entretenir la confusion dans l’esprit du plus grand nombre et à jeter l’opprobre sur ces sociétés de « sécurité et de services de défense ».

Ces dernières, dont les personnels et dirigeants ont souvent un passé militaire, réalisent des prestations de sécurité (que certains considèrent par corporatisme comme du domaine régalien) dans des environnements complexes, s’inspirent de méthodes de planification et de conduite des opérations appliquées dans les forces armées.

Pour autant, cela suffit-il à comparer, amalgamer, comme le veut la tendance actuelle, l’action de telles sociétés avec des « entités » hybrides tel le trop célèbre Groupe Wagner ? Je ne le crois pas.

Je pense même que poursuivre dans cettte voie est une erreur qui occulte la réalité de fond sur les besoins exponentiels de sécurité globale que requière le paradigme sécuritaire actuel.

 

David HORNUS
 

Associé fondateur de Secopex (2003/2006), il fonde en 2006 la société Corpguard avec laquelle de 2015 à 2018 il réalise des prestations de « services de défense au profit de la République de Côte d’Ivoire. Il dirige aujourd’hui Vigilantis un cabinet spécialisé dans le renseignement, la sécurité économique et la gestion de crise. Il a été 3 ans (2019/2022) élu au poste Directeur Europe-UK pour l’industrie de sécurité privé de ICoCA initiative de régulation et de gouvernance qu’il a rejoint dès sa création en 2009. La société Corpguard a été la 4ème société française certifiée ISO 18788 en 2018. Il est à l’initiative de la contribution territoriale au continuum d sécurité et auteur de « Danger Zone » aux éditions Balland.

 

 

[1] https://www.linkedin.com/pulse/lapp%C3%A9tit-du-groupe-wagner-pour-le-mali-fait-ressurgir-david-hornus/

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Bob_Denard

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Schramme

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mike_Hoare

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Sandline_International   

[6] https://www.letemps.ch/suisse/timothy-spicer-controverse-fondateur-daegis

[7] https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2015/07/15/garda-world-se-prepare-a-prendre-le-controle-d-aegis-14453.html

[8] https://www.ege.fr/sites/ege.fr/files/fichiers/dossier%20MPRI.pdf   

[9] https://www.liberation.fr/planete/1997/05/31/les-americains-rearment-les-forces-bosniaquesles-europeens-et-la-sfor-desapprouvent-ce-programme-d-a_203991

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_EHC

[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/Academi

[12] https://fr.wikipedia.org/wiki/CACI

[13] https://www.lepoint.fr/societe/le-francais-tue-en-libye-etait-en-contact-avec-la-rebellion-13-05-2011-1330585_23.php


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