Le Manifeste des Sentinelles de l'agora pour la sauvegarde des armées. Complément en date du 04/10/2013.

Le général de corps d'armée (2S) Jean-Claude Thomann, fait circuler un petit texte depuis quelques jours.

Il éxcrit: "Je vous adresse en pièce jointe le manifeste pour la sauvegarde des armées rédigé par le cercle de réflexion "les sentinelles", auquel j'appartiens, et qui regroupe de manière informelle des officiers généraux et supérieurs des trois armées. Destiné en priorité aux parlementaires et élus de toutes tendances, il a vocation à être largement diffusé et relayé par les associations de la communauté militaire, et, nous en formulons le vœu, les media."

Par ailleurs, le général Dominique DELORT, Président de la Saint-Cyrienne a publié un édito sur le site de l'Associaiton, en date du 03/10/2013.



 

 

Le général, membre des sentinelles de l’agora, précise: "Ce club de réflexion regroupe des officiers supérieurs et généraux des trois armées, de sensibilités diverses, mais ayant de multiples expertises et membres de nombreuses associations et institutions de Défense."

Et de conclure: "Ce manifeste se veut fondateur en ce qu'il marque le début d'une action citoyenne qui pourrait d'ailleurs à terme prendre d'autres formes plus concrètes si les responsables de notre République persistaient dans leurs errements dramatiques pour la sécurité à moyen et long terme de notre pays."

 

MANIFESTE POUR LA SAUVEGARDE DE NOS ARMEES


Le démantèlement de l’institution militaire arrive à son terme. Infiniment plus que l’actuelle disette budgétaire, la fin de la guerre froide, les impératifs de l’Etat-providence et la volonté des « post modernes » d’en finir avec le « fracas des armes » ont été les abrasifs les plus puissants pour réduire, en moins d’un demi-siècle, l’armée française à l’état d’échantillon. La force militaire est passée, dans le silence et la dénégation, du statut d’institution régalienne majeure à celui d’une société de services que l’on rétribue à la tâche.

Le couronnement de cette efficace entreprise de démolition a été de placer la haute hiérarchie aux ordres d’une administration civile de défense qui prospère sans frein, au prétexte de recentrer les militaires sur leur cœur de métier. Le soldat, « ravalé à la fonction d’homme de peine de la République », est prié de verser son sang dans le silence et l’indifférence en se soumettant aux règles strictes d’un devoir d’Etat pourtant largement déserté par ceux censés le faire mettre en œuvre et le faire respecter.

 

Ce désastre consommé ne peut plus être confiné sous l’éteignoir d’un « devoir de réserve de la grande muette », caution hypocrite et confortable à la disposition de tous les habiles pour esquiver dans le confort de la chose publique leurs responsabilités envers la Nation.
 

Des fautes multiples : 

C’est en effet une grande faute que de sacrifier le bras armé de la France au gré des idéologies de rencontre et de quelques embarras financiers.


C’est une faute en regard du monde tel qu’il s’organise et dont chacun sait qu’il réservera de fâcheuses surprises. L'absence actuelle de menace militaire majeure n’est qu’un simple moment de l’Histoire. Son calme apparent ne doit pas masquer les reconfigurations géopolitiques qui marginaliseront, pire élimineront sans pitié les nations au moral défaillant.


C’est une faute vis-à-vis de la sécurité des Français de faire ainsi disparaître un pilier majeur de la capacité de résilience du pays face à une éventuelle situation de chaos, dont nul ne peut préjuger le lieu, l’heure et la nature. Pour y faire face, seule une force armée peut et doit offrir les moyens suffisants, servis par des hommes et des femmes structurés par les valeurs puissantes du devoir et de l’obligation morale.


C’est une faute d’éliminer l’une des institutions « fabriques de liens » dont la France a un urgent besoin face à l’action déterminée de forces centrifuges, dont elle est coutumière, et mises généralement au service d’intérêts particuliers et communautaristes.


Il est donc plus que temps de rétablir la puissance et l’efficacité d’une institution d’Etat « pour le dedans comme pour le dehors » et de permettre à la France de se remettre à penser en termes de risques et de puissance stratégique. Elle en a les moyens. Elle doit le faire sans l’attendre d’une Europe, puissance inexistante, ou d’une soumission transatlantique délétère voire de plus en plus illusoire.


Que rétablir et comment ? 

Les voies et moyens pour rétablir une institution, désormais comateuse, sont nombreux et divers. Ils n’attendent qu’une impulsion réparatrice, après des décennies de mesures irresponsables. Ils ne pourront, cependant, faire l’économie d’un certain nombre de dispositions, dont l’abandon ou le travestissement ne sont plus acceptables.

D’abord, un budget décent qui permette à nos soldats de disposer de l’entraînement et des équipements nécessaires, et au politique de s’engager sans le soutien déterminant des Etats-Unis, tout en évitant le stupide tout ou rien nucléaire.


Ensuite, des hommes et des femmes en nombre suffisant. Rien d’efficace et de durable ne peut se faire sans des effectifs capables de marquer dans la durée, sur et hors du territoire national, la volonté et la détermination de la Nation.


Avec, bien entendu, une organisation des forces parfaitement univoque, tout en faisant la répartition qui convient entre des professionnels en nombre suffisant et les citoyens en armes qui doivent impérativement revenir au centre de notre dispositif sécuritaire et identitaire.


Enfin, une répartition équilibrée, entre l’exécutif et le Parlement, des responsabilités qu’autorise la Constitution, laissant au militaire le devoir d’exercer librement son conseil, tout en administrant et mettant en œuvre les forces autrement que par le canal malsain d’une administration de défense d’autant plus intrusive qu’elle se sait irresponsable.


Autant de mesures indispensables qui seront déclinées, point par point, dans des documents à venir et dont les signataires du présent document demanderont, avec détermination et constance, la réalisation pour le bien public.

Il est grand temps de rénover et de renouveler le contrat de confiance de la République avec ses soldats. S’il n’est pas trop tard, il devient urgent de lui redonner la vigueur indispensable sans qu’il soit besoin de recourir à des formes de représentation qui, bien qu’étrangères à notre culture militaire, pourraient s’avérer, un jour peut-être proche, le seul moyen pour nos soldats de se faire entendre.


Le 30 septembre 2013 Les sentinelles de l’agora


 


Edito en date du Paris, le 3 octobre 2013, par le Général de corps d armée Dominique DELORT, Président de la Saint-Cyrienne.

En grand désarroi !

Les responsables politiques et les médias savent que le moral des Français est mauvais. Celui de la population n’est pas bien élevé mais plus surprenant, pour la première fois depuis que j’en fais partie, celui de la communauté militaire ne le tire pas vers le haut. Bien sûr les plus jeunes sortent de l’ESM de Saint-Cyr pleins d’espérance et prennent leur section ou peloton avec un enthousiasme admirable et rassurant mais les autres, suivant leur caractère, avancent les mâchoires serrées ou grognent plus ou moins fort. Ceux qui servent en état-major ne me paraissent pas bien différents mais semblent en sus porter la connaissance d’un avenir encore plus sombre. Heureusement pour « l’active » les engagements sur les théâtres d’opération sont des périodes vécues globalement très positivement mais les plus anciens, qui eux aussi ont traversé des moments difficiles, ne peuvent que ressentir de l’amertume en voyant fondre avec une régularité impressionnante, nonobstant le discours officiel, les moyens des armées et notamment ceux de l’armée de Terre.

Les autorités politiques doivent savoir que les inquiétudes sont grandes devant les réformes à répétition que subit la défense. A croire que les militaires sont des cibles privilégiées quand l’Etat n’arrive pas à réformer ailleurs. En quelques années des dizaines de milliers de militaires ont été en réalité « mis dehors » quand d’autres secteurs de l’Etat, comme l’éducation nationale, se montrent toujours rétifs aux volontés de leurs ministres successifs et que le nombre des fonctionnaires augmente de façon totalement déraisonnable, suivant les rapports de la Cour des Comptes, dans les collectivités territoriales. La diminution des responsabilités du commandement génère abattement, colère, amertume ou plus terrible encore indifférence chez ceux qui ont, auraient ou ont eu, à œuvrer pour diriger et administrer en plus de commander. Des civils et/ou des contrôleurs prennent ainsi la place des officiers, généraux ou colonels, qui sont eux totalement investis dans la problématique défense et seuls capables de réaliser cette synthèse souhaitée pour maintenir une armée en rapport avec la responsabilité d’un membre permanent du Conseil de sécurité. Faut-il croire à une situation réversible, oui, mais à quelle échéance et dans quelles conditions je ne saurais le dire.

Le Président, le ministre de la Défense et le CEMA savent que l’opération au Mali est vue comme un succès, de la décision à l’exécution : succès politique illustré par la décision d’engagement et succès militaire pour ceux qui ont planifié, conduit et exécuté une superbe opération. Il serait cependant grave de croire que l’on peut cantonner l’officier aux seules opérations sur le terrain et le dépouiller des autres responsabilités sans créer une rancœur chez ceux qui ne veulent pas quitter l’institution et une hémorragie parmi les plus aptes au départ ou simplement les plus téméraires. Pire encore c’est le lien entre le politique et le militaire qui en serait durablement affecté et cette perspective débouche déjà sur une crise de confiance. Je voudrais que s’efface tristesse et résignation sur les visages de ceux qui ont choisi de servir par vocation et profonde déception chez ceux qui avaient choisi un métier apportant l’aventure mais aussi des responsabilités motivantes.
Les officiers aiment trop la France pour ne pas être profondément respectueux des institutions. C’est pourquoi ce qui est perçu comme du mépris est très mal vécu. Le syndicalisme n’est pas la solution pour être mieux écouté, non pas parce que ce n’est pas efficace mais ce serait un poison. Cela mettrait à mal les principes fondamentaux d’autorité et de responsabilité indispensables à une armée efficace aux ordres d’un Président-chef des armées- élu par les Français. Je suis frappé de voir que la nécessité ou non de syndicats fait l’objet de controverses dans le milieu militaire peut-être parce que certains ont le sentiment que la parole de leurs chefs est devenue inaudible. Pourtant le code de la défense est clair ; s’il limite les droits des militaires et interdit l'existence de groupements professionnels, c'est parce qu'il appartient au chef « de veiller aux intérêts de ses subordonnés ». Si la « base » voit ses chefs écoutés, le risque de syndicalisme est écarté. Il convient d'être vigilant car le dépit peut mener au pire.

Dans le défi d’adaptation de notre pays au monde actuel les militaires ne doivent pas être considérés comme du personnel relevant d’une mission secondaire de l’Etat.
Ce grand désarroi c’est au Chef des armées de le combattre pour ne pas décevoir des jeunes générations d’officiers qui servent avec compétence et fidélité dans un monde instable où le volume de forces en cours de réarmement augmente sans cesse. Il ne faut jamais oublier ou sous-estimer l’importance des forces morales dans une armée. In fine qu’en serait-il de la puissance de la France avec une armée « bonzaï » et sans lien solide entre le politique et le militaire ?
 
Général de corps d'armée (2s) Dominique DELORT
Président de la Saint-Cyrienne

 

N.B. : Cet éditorial a été adressé au Président de la République

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